Août 2025. Exploration du Fort Akira, un ensemble immense de bunkers fortifiés de la ligne Maginot, caché sous une forêt en Lorraine.

Façade de l’un des blocs de combat
Une ville souterraine
Il s’agit de notre deuxième exploration de la ligne Maginot, après celle du Fort Noddy. Celui-ci présentant une structure compacte et en mauvais état, nous cherchions un site davantage étendu et préservé. C’est ainsi que nous découvrons le Fort Akira.
Parmi les plus imposants de la région, il présentait un effectif supérieur à cinq cents hommes et officiers, répartis sur plus de cinq blocs de combats et une vingtaine de cloches et tourelles. L’effectif vivait sous une trentaine de mètres de terre et de béton et disposait d’une autonomie en eau, vivres et carburant de plusieurs mois. Avec ses cuisine, réfectoire, toilettes, dortoirs, douches, usine et kilomètres de galeries, nous entrons alors dans une véritable ville souterraine.

Cloche GFM (guetteur et fusil-mitrailleur) et mortier
Bloc d’entrée des munitions
Comme nous le verrons plus tard, seule cette entrée s’avère accessible. La lourde porte s’ouvre alors vers cinq heures et quinze kilomètres de marche.

Bloc d’entrée des munitions, protégé par deux cloches GFM et mortier

Entrée des munitions sur voie ferrée, protégée par JM (jumelage de mitrailleuses), interchangeable avec un canon antichar


Cage du monte-charge des munitions
Sous terre
Difficile de s’imaginer une ville souterraine avant d’y être entrés. Trente mètres correspondent à un immeuble de dix étages, que nous descendons par un escalier étroit et humide, tournant autour de l’ascenseur et à proximité du monte-charge. Arrivés en bas, nous constatons que ce qui s’apparente à un vide sanitaire est totalement inondé. L’eau atteint le sol, voire le dépasse par endroits. Sa profondeur semble atteindre plusieurs mètres, qu’il pourrait être intéressant d’explorer, si elle n’était pas polluée aux hydrocarbures.
La voie ferrée en surface reprend ici son chemin et parcourt toutes les galeries du Fort Akira. On imagine facilement le matériel roulant électrifié cheminant sur cette ligne, avec ses wagonnets chargés de marchandises et munitions. Nous n’en découvrirons qu’un seul, citerne.

Idem, vue d’en bas


Ascenseur parallèle au monte-charge
Adieu iPhone, bonjour Nikon
Cette sortie est l’occasion de tester mon nouvel équipement photo : un Nikon D750 (reflex numérique plein format) et un AF-S NIKKOR 16-35mm f/4G ED VR (objectif ultra grand angle), tous deux procurés d’occasion, ainsi qu’un panneau LED bicolore BRESSER BR-F36B.
Comme beaucoup, mon smartphone me sert au quotidien d’appareil photo. C’est donc naturellement que je m’en suis servi pour immortaliser nos urbex. Cependant, malgré ses qualités indéniables, j’en ai rapidement décelé les limites en basse lumière : ouverture et vitesse non paramétrables, sensibilité et retouche limitée, entre autres.



Entrée sécurisée des blocs de combat et des magasins
Magasins
Les premières centaines de mètres sont composées de magasins, c’est-à-dire des salles de stockage pour les munitions, les vivres, l’eau, le carburant. Actuellement entièrement blanches et vides et reliées par un monorail de levage, donc sans grand intérêt.

Réservoir d’eau

Couloir de droite menant vers un premier alignement de magasins
Pourquoi le Nikon D750 ?
Je m’intéresse d’abord à la production actuelle, qui a tourné la page du reflex pour celle de l’hybride. Les modèles neufs plein format sont largement au-dessus de mes moyens, ceux d’occasion sont rares et à peine moins chers, tout du moins chez Nikon. Pourquoi ces deux critères ? Le premier pour capter le maximum de lumière dans les bunkers, le second pour bénéficier de l’expérience de proches fidèles à la marque.
L’hybride m’étant hors de portée pour le moment, je regarde du côté des reflex Nikon d’occasion. La Fnac, Phox et MPB en proposent de tous modèles et états. Mais en spécifiant la tropicalisation sans chercher dans la gamme professionnelle, forcément plus onéreuse, le D750 sort du lot. Je finis par en dénicher un chez Phox pour la moitié du prix neuf de l’époque, en fin de commercialisation, en très bon état et avec à peine 15’000 déclenchements.

Couloir menant vers les magasins

Magasin
Pourquoi l’AF-S NIKKOR 16-35mm f/4G ED VR ?
Le choix du boîtier étant fait, vient maintenant celui de l’objectif, bien plus évident.
D’abord la focale. Pour pouvoir faire rentrer dans le cadre une architecture ou un intérieur avec peu de place pour reculer – ce qui est souvent le cas en photo urbex – un ultra grand angle s’avère nécessaire.
Ensuite l’ouverture. A moins de faire principalement de la macro, une grande ouverture n’est pas nécessaire, au contraire. Pas besoin d’ouvrir à f/2.8, donc, f/4 suffira largement.
Enfin la stabilisation, utile dans des conditions de faible luminosité, réduisant le risque de flou de tremblement. Le boîtier n’en étant pas équipé, l’objectif doit s’en charger.
J’en trouve un d’occasion, là aussi chez Phox. Au tiers de son prix neuf, mais qui aura bien vécu. Les plastiques présentent de nombreuses griffures, mais ses lentilles sont en très bon état et il fonctionne parfaitement.


Pourquoi le panneau LED bicolore BRESSER BR-F36B ?
Le choix du panneau LED s’est avéré lui aussi limité.
Un modèle d’entrée de gamme pourrait être intéressant financièrement, jusqu’à ce que sa durée de vie relative ruine votre sortie.
Du matériel haut de gamme est à proscrire, puisque hors de prix et trop lourd, volumineux et fragile pour de l’urbex.
Un équipement étanche et renforcé présenterait un intérêt dans les conditions d’humidité que nous avons rencontrées ici, mais s’avère plus cher aussi et généralement insuffisamment lumineux pour éclairer les longs couloirs.
Dans tous les cas, opter pour un modèle à batterie amovible, puisqu’une seule fonctionnera à pleine puissance durant une à deux heures seulement.
Le BRESSER BR-F36B n’est ni étanche, ni renforcé, ni compact, mais présente une intensité lumineuse respectable de 3’600 lumens, une plage variable de température de couleur et s’avère relativement léger – sans batterie. Quant à son prix, il y a certes moins élevé, mais au détriment de l’un ou des avantages de ce modèle.

Graffiti évidemment authentique

Stupeur
Les deux ennemis de la photo dans un bunker sont le manque général de lumière et son excès à faible distance. D’où un risque prononcé de clichés soit flous, soit cramés, soit avec du bruit numérique, soit les trois. Pour y faire face, j’avais créé un réglage utilisateur basé sur la priorité ouverture avec une vitesse minimale de 1/100 s et une sensibilité maximale de 3’200 ISO, et paramétré le panneau LED à 50 % de son intensité lumineuse. J’avais aussi pris avec moi un trépied, dont je ne me suis finalement pas servi, afin de ne pas prendre la journée pour immortaliser le Fort Akira.
Les rendus sur l’écran me paraissent bien, les histogrammes aussi, je joue de temps à autre sur l’ouverture et la correction d’exposition. De retour chez moi, stupeur, je constate que nombre de photos sont légèrement floues. Je vérifie leurs infos et constate qu’elles présentent une vitesse bien inférieure à la valeur minimale paramétrée. La sensibilité maximale, quant à elle, a bien été respectée. Que s’est-il passé ?


Couloir de gauche menant vers les blocs de combat, de droite vers un second alignement de magasins
(Ph)Autocritique
C’est simple : le boîtier a manqué de lumière et a modifié un réglage pour tenter de rétablir une exposition correcte. J’ai pu sauver la majorité des photos avec le masque flou de NX Studio, que la compression en JPEG s’est empressée d’annihiler, mais le mal était fait. Bien que m’étant entraîné au préalable, je n’avais pas poussé le capteur dans ses retranchements, ce qui ne m’a pas permis de devancer mon optimisme à venir dans les bunkers.
Autre point : les erreurs de profondeurs de champ. Nombre de photos de couloirs présente un premier plan flou, dû à une ouverture trop importante de f/8. Lumière ou profondeur de champ, il me fallait choisir, si je m’en étais rendu compte lors de l’exploration. Alors, que faire ?


Caserne et usine
Passés divers magasins et portes blindées, apparaissent différents lieux de vie. Dans la caserne : une infirmerie, une cuisine, un réfectoire. Dans l’usine : des douches, des ateliers de construction mécanique et une salle des machines. Seuls deux groupes électrogènes sont encore présents. L’occasion d’admirer les détails de la distribution latérale.
Ces moteurs ne fonctionnaient certainement pas tous en même temps, peut-être un ou deux. L’intensité sonore et les vibrations devaient cependant être suffisamment puissantes pour perturber – c’est le moins qu’on puisse dire – les périodes de repos de l’effectif dormant et mangeant à proximité.


Cuisine
Nouveaux paramètres d’exposition
D’abord, augmenter la quantité de lumière. J’avais réglé le panneau LED à 50 % de son intensité lumineuse, je vais le passer à 75 % et être particulièrement attentif à l’histogramme.
Aussi, étendre la sensibilité du capteur. Passer à 4’000 ISO et traiter le bruit numérique dans NX Studio.
De plus, pour les lieux nécessitant une grande profondeur de champ, réduire l’ouverture à f/11 et compenser la moindre lumière reçue en élevant l’intensité lumineuse du panneau LED.
Enfin, tester et ajuster ces paramètres au plus proche des conditions d’exposition d’un bunker, donc par nuit noire. Il s’en est fallu de peu pour que l’ensemble des photos soit inutilisable, je ne souhaite pas compter sur la chance et la retouche logicielle pour le prochain urbex.



Atelier de construction mécanique

Perceuse à colonne ?

Tour


Jauges

Disjoncteurs ?




Crochets de levage


Douches



Bâton lumineux au pied du seau



Atelier de construction mécanique


Tour


Groupe électrogène



Servante d’atelier



Concrétion calcaire



Wagonnet-citerne

Mise en scène avec des bougies, l’ambiance devait être particulière


Des airs de colonne vertébrale

Blocs de combat
Un kilomètre et dix étages après la caserne et l’usine, nous atteignons l’extrémité de l’ouvrage. Nous attend à la surface un bunker armé de plusieurs cloches JM, GFM et mortier. Les installations sont similaires à celles du Fort Noddy, à la différence que ce dernier ne comportait pas d’ascenseur. Le luxe des forts profondément enterrés, dira-t-on.
Nous redescendons et remontons dix autres étages, pour atteindre un bloc, bien plus massif. Tel un enfant dans un magasin de jouets, je suis immédiatement surpris par les dimensions des mécanismes de la tourelle, arborant autrefois un canon de 75 mm. Levier, piston, crémaillère, engrenage, tout est encore présent, sur deux étages. J’aimerais monter jusqu’en haut, si la frêle échelle ne semblait pas tenir uniquement par la rouille.



Pour les historiens

Mécanisme de cloche

Intérieur d’une cloche

Peace



Premier étage du mécanisme de tourelle


Levier permettant de soulever la tourelle



Deuxième étage du mécanisme de tourelle

Vue depuis un créneau
Sortie et impression
Nous n’avons visité qu’une partie des blocs de combat, sommes fatigués par les heures et kilomètres de marche, quand nous nous posons la question suivante : est-ce que ça vaut le coup d’explorer les autres ? D’après les cartes et données enregistrées dans mon smartphone, nous avons vu le plus important.
Cependant, il y a ce bloc d’entrée des hommes dont la porte était condamnée. Nous sommes curieux d’aller voir pourquoi, lorsque la réponse apparaît progressivement. En ce jour pluvieux, un important bruit d’écoulement se fait entendre à proximité de son escalier d’accès. Arrivés devant celui-ci, nous constatons que de l’eau ruisselle abondamment dessus et qu’il est dépourvu de rambarde.
Durant les jours suivants, vient à moi cette impression que j’aurais pu me promener dans la forêt au-dessus du Fort Akira, remarquer quelques bunkers, sans me douter qu’il se cache une telle construction sous mes pieds. Une puissance de feu autrefois redoutable, aujourd’hui endormie et oubliée. Qui ne demande qu’à renaître. Pas en préparation à une nouvelle guerre, mais pour la mémoire. Cela pourrait d’ailleurs être l’objet d’un prochain article : visiter l’un de ces forts reconvertis en musée.
Bravo à l’association Wikimaginot pour son travail d’archivage, sans lequel il ne m’aurait pas été ici possible de donner chiffres et détails.
Photos prises avec :
– Boîtier Nikon D750
– Objectif AF-S NIKKOR 16-35mm f/4G ED VR
– Panneau LED bicolore BRESSER BR-F36B